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Quand la rue parle

Nous sommes tous rentrés. Avant de publier les derniers articles et les dernières photos, voici un article sur des faits sociaux, un texte qui relate une pratique condamnable qui se passe chez moi. Comme partout, rien n’est parfais, et le royaume du Dahomey a aussi ses démons à vaincre. Des démons persistants même lorsque le calme et la paix quotidiens peuvent nous faire croire a l´illusion d'une humanité aboutie. 

 

Les rues sont animées, parsemées de sourires, d'échange cordiales, de plaisanterie de voisinage, de racontars de tout genre qui rythme habituellement la vie de cette gigantesque cité qu'est cotonou. On est samedi, une journée animée par habitude. Je rends visite à ma sœur qui vit dans ce quartier calme périphérique de Cotonou appelé Womè. Cette partie de Cotonou est appréciable pour son activité réduite comparée à Cotonou qui est une cité surchargée, condensée d'activité très variées. A tout égard elle continue de jouer le rôle de capitale économique du pays.  

 

A Womè, venait de se passé quelque chose qui a défrayé la chronique et qui constitue l'un des problème sociaux et juridique les plus urgents et complexe auquel le Bénin doit faire face. Le vendredi 15 Jan 2010 a été le jour où s'est déroulée une scène macabre et d'une violence extrême qui m'a d'abord choqué profondément et qui par la suite a réveillé des souvenirs douloureux de 2005 quand j'avais écris un article en direction de la paroisse de l'église évangélique du quartier pour nourrir la réflexion sur la position de l'église sur des pratiques aussi barbares et répugnantes. On brûle encore des hommes au Bénin. Et on rend la justice sans procès et on exécute la sentence sans un débat contradictoire et sans vérification des faits et surtout sans la présence d'aucun représentant de la puissance publique. A 23H de cette nuit du 15 Jan, un homme a été brûlé par les habitants du quartier, surtout par les conducteurs de Zem (Taxi-moto) parce qu'il est l'auteur d'un fait aussi ignoble que son assassinat. 

 

Le présumé  coupable, l'exécuté, serait un voleur qui pendant cette nuit aurait fait équipe avec un autre malfrat pour filer une dame bien connue dans le quartier. La dame était sur son scooter et rentrait chez elle. Les deux voleurs l'auraient suivi également en moto pendant des minutes jusqu'à un endroit dégagé, sans présence humaine. Dès lors, celui qui était à l'arrière de la moto a sorti un coupe-coupe et a coupé une main de la dame provoquant sa chute. Elle a eu le réflexe courageux de crier au secours avant de s'évanouir. Les malfrats ont essayé de dérober le scooter, une moto dénommée vicieusement « dream », un rêve. Des personnes ont commencé à venir au secours et les voleurs ont tenté de s'échapper. Celui qui était derrière la moto est tombé dans la précipitation et les secours sont tombés sur lui. Ils l'on pourchassé pendant un certain temps avant de  s'emparer de lui vers le carrefour central du quartier. Il aurait avoué être l'un des voleurs selon certain Zem et c'est suite à ça qu'avait commencé le lynchage en règle. Le type a été frappé jusqu'à mort et c'est pendant que certains réclament de le laisser qu'un conducteur de Zem a commencé à l'asperger d'essence. On imagine l'ambiance morbide, mélange d'excitation, de colère, voire de haine. On devine le regard des acteurs de ce drame, revanchards, fiers et métallique. C'est devant ces regards que s'est produit le feu qui a transformé en cendre un inconnu, auteur présumé de la tentative de vol de la « Dream », et de l'amputation de la main de son propriétaire. Le quartier était en effervescence, et le lendemain des faits, on retrouve encore les cendres et la carcasse à ce carrefour qui portera désormais le sinistre nom « carrefour du brûlé ». 

 

On brûle encore des voleurs au Bénin. C'est un problème complexe qui mélange les questions de pauvreté, de délinquance, et finalement de défaillance du système judiciaire. Parce que ici comme dans la plupart des autres pays, on court pour l'argent et on est prêt à y donner sa vie.  

 

La pauvreté  est le mal primaire, celui qui est à la base des comportements sociaux destructeur. Et plus cette pauvreté est exacerbée, plus les comportements normaux font place à une déshumanisation progressive qui devient difficile à fléchir. Le Bénin a toujours été considérée comme pacifique à l'intérieur du royaume. Parce qu'avant la colonisation, le système royal d'entant était guerrier et expansionniste. Mais au vu de la composition ethnique et du feu attiser par le traçage des frontières à l'issue de  la conférence de Berlin de 1885, le Bénin rassemblait tous les critères pour imploser sous les conflits ethniques et exploser par des conflits frontaliers. Mais nul de ses prophéties ne se réalisa et le pays est aujourd'hui l'exemple incontestable du multipartisme et d'une démocratie véritable et efficace. D'où une analyse possible de ces barbaries qui seraient le fruit inquiétant de la pauvreté chronique dont souffrent une grande partie de la population. Le Bénin ne meurt pas de faim, et on ne voit pas dans les rues des enfants aux ventres ballonnés ou aux squelettes visibles. Mais les petites femmes qui vendent de tout et de rien le bord des grands axes vous diront qu'être à la lisière de la misère n'est pas une position enviable. 

 

 

Parallèlement à ces causes profondes, se superposent des questions carcérales et juridiques avec des enjeux difficiles à gérer dans l'immédiat. D'abord il y a des prisonniers de nationalité nigériane en grand nombre dans les prisons de Cotonou et le traitement de leur cas pose de sérieux enjeux diplomatiques et juridiques. Ils bondent les prisons et la lenteur du traitement des dossiers fait qu'ils y passent un temps conséquent. A cela s'ajoute les cas de petit ou moyen banditisme qui débordent le système judiciaire. La population voit cela et le vit comme une injustice. Parce qu'il y a des drames familiales derrières ces actes de vol caractérisé : des hommes à qui on ampute un bras, des femmes dont on fracasse le tibia, des enfants et adultes accidentés par le fait des guets-apens de voleurs, etc. Le sentiment d'impunité est vivace dans les milieux populaires et c'est ce sentiment qui sert de caution morale à ceux qui se rendent justice par des exécutions sommaires et publiques. « Pour donner l'exemple disent certains ». Même dans les milieux policiers, on note le même sentiment d'exaspération car les prisons sont pleines à craquer et ces bandits une fois sortis récidivent. D'où un problème complexe qui nécessiterait un positionnement fort de l'Etat central.  

 

 

Le semblant de calme qu'apportent ces actes désespérés de vengeance aux populations victimes n'est pas une base saine pour bâtir une sécurité publique de qualité. Non seulement cela engendre des représailles entre bandes, quartiers et familles, mais également disqualifie le rôle de l'état et supprime le monopole de la violence légale. En substance, c'est une bombe à retardement qui risque de déstabiliser la paix sociale. Pour que voleur de « Dream » et propriétaire de « Dream » trouve justice, il n'y a d'issue que le rêve d'un état de droit  avec un monopole effective de la violence et des instruments pour désarmer ces sentiments de vengeance et de représailles. On prie pour que ce rêve devienne notre futur.



05/02/2010
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