Un monde, des Idees - One World, Many Ideas

Niger

Une aventure sahelienne au couleur du sable et de l'humain...


Indice pour Indice au Niger

Je viens de passer 10 mois dans ce pays sans me rendre compte du temps qui s'évanouit. Le temps nous échappe complètement et suis sa propre trajectoire; et nous comme des sujets impuissants essayons de nous en accommoder, autant que nous pouvons. Le temps est particulier au Niger. Mon temps est particulier car le temps reste un vécu personnel et unique. C'est surtout la sensation qu'on est ancien déjà tout en se sentant nouveau, fraîchement débarqué. Dans ma tête j'ai toujours la sensation que je viens de prendre mon poste et que des éléments du contexte me sont encore nouveaux, alors que je fais déjà parti de « l'ancienne équipe ». Un vécu du temps.

Il y a des records mondiaux qui font froid dans le dos quand on parle du Niger. Au fait il y en a deux : c'est le pays le plus « Pauvre » du monde selon le calcul basé sur les indices du développement humain (C'est l'indice global le plus réaliste qu'on a pu trouver, mieux que les PNB ou PIB). Et c'est également le pays avec le plus fort taux de fécondité au monde : avec 7,68 enfants par femme. Voila bien un paradoxe qui vous expose simplement le problème majeur auquel fait face ce pays : trop de gens pauvres qui engendrent trop dans le cycle de la pauvreté. Il ne faut pas faire des statistiques pour comprendre l'enjeu et cela indique comment la tache est colossale. Bien sûre il ne faut pas amener les sacs de riz pour distribution ici. Et encore moins compter sur les ONG pour juguler ces données fatalistes. A vrai dire je ne sais même pas s'il y a une solution car en toute honnêteté je ne crois pas les hommes capables d'user de sagesse pour gérer ces types de problématiques. Saluons simplement la volonté et l'ingéniosité de quelques uns qui essaient d'injecter des idées, d'indiquer des sentiers possibles à prendre pour redresser la tendance. Les ONG comme la mienne font une infime partie de ce travail titanesque.

Imaginer les pays à ventres bien remplis comme la Grèce, l'Irlande (Pays de mon organisation Concern), la France, les Etats-Unis qui paniquent parce qu'il y a une menace de récession ! Que peuvent faire les pays comme le Niger, La Sierra Léone qui sont au bas de tous les classements ? Ben ces pays galèrent et galèrent grave.

Ce qui est curieux est l'universalité du verbe politique, ses motivations profondes et ses élucubrations manifestes qui se voient dans les média. J'ai toujours eux une pitié complaisante et contenue pour les hommes politiques qui se croient capables de résoudre des problèmes qu'ils comprennent généralement mal et qui de toutes façon ne peuvent pas être résolu par des solutions politiques. Que croyez vous que Sarkozy sait des algues vertes, de la transformation de l'énergie thermodynamique ?  De l'immigration clandestine ? Mais il veut les résoudre tous car il y a des « citoyens » qui croient que ce monsieur aurait compris des choses et pouvais résoudre les problèmes. Ici au Niger, ce sont les coups d'Etat et l'instabilité politique qui régulent la dynamique politique. Un opposant de longue date a réussi à prendre démocratiquement le pouvoir et bien sûre il a promis, comme Sarkozy, comme Obama, comme Karzaï. Donc Issoufou Hamadou, le nous veau président du Niger, dont les idées sont intéressantes et un parcours combatif qui lui donne un certain crédit croit qu'il va faire devenir le Niger un pays émergent. Il a eu l'intelligence et l'humilité de dire que ce ne sera pas à l'issue de son mandat. Mais avec un peu d'honnêteté intellectuelle et avec une calculatrice bon marché, on peut simplement constater que ce travail ne sera pas possible si l'homme reste le prédateur qu'il a toujours été et si son rapport à l'argent et au pouvoir reste identique.

Ce pays est le deuxième exportateur d'uranium au monde, l'atome assassin qui est entrain de détruire les côtes de Fukishima et qui a pollué à vie la ville de Tchernobyl. Mais c'est quand même l'atome qui fait rouler le TGV, fait chauffer les maisons pendant l'hiver, faut fonctionner le frigo et la lumière et qui représente 75% de la production de l'énergie électrique en France. Eh ben cet atome n'existe pas dans la Drome ou à Blaye, mais ici au Niger, le pays aux indicateurs de développement humain effrayant. Mais ici le courant n'existe que dans quelques villes et les coupures de courant font légion. L'électricité est fournie par des gros groupes électrogènes fabriqués par des allemands et des chinois et le fuel est importé de Lybie ou Nigeria. Et ca ne marche pas très bien, tellement pas bien que chaque habitant, dès qu'il a les moyens achète son groupe électrogène personnel pour pallier aux coupures de courant. NE voyant les choses simplement sous l'angle de l'énergie, vous voyez déjà le paradoxe et les complexités du système mis en place. Tout est construit dans une dépendance arbitraire, illogique, inefficient, dont la seul motivation est la satisfaction d'une certaine élite qui ne vise que le maintien de leur statut. Donc le président a beau avoir de bonne idée, mais réussira t-il  à dire à Sarkozy de lui construire une petite unité de production électrique en échange des faveurs donnée à AREVA pour exploiter l'uranium au Niger ? Parce que la consommation de tout le Niger est ridicule devant ce que consomme une ville comme Lille et son agglomération. Et pourtant le Niger d'une façon alimente à 75% la France.

Loin de moi de dire que France à tort d'acheter de l'uranium au Niger. Mais faire voyager le Niger de l'extrême pauvreté vers un pays émergent aura besoin d'autres solutions que les termes de l'échange actuel. La solution n'est pas politique mais plutôt technologique. (Même si la politique peut aider à organiser les hommes). Il faut des ingénieurs, des docteurs, des agronomes, des techniciens vétérinaires, des forestiers, des scientifiques de l'adaptation aux changements climatiques, des économistes, des professeurs et enseignants, des mécaniciens de machines agricoles, des sociologues et avant tous une société civile guidée par une volonté collective de progrès. Malgré l'évidence de cette approche, cela n'arrange finalement pas grand monde dans l'élite car cela prend trois générations pour émerger. Voila que tout le monde pense court terme.

Mais cette situation m'aide aussi à expliquer un des aspects méconnus de mon travail. Dans des contextes comme le Niger, il serait illusoire de vouloir sauver  tout le monde. Il est aussi illusoire de proposer des solutions venues d'ailleurs car tout est spécifique. C'est pourquoi on tranche avec une approche hybride, entre l'interventionnisme et la recherche opérationnelle. En fait on fait des programmes qui atteignent des objectifs avec des impacts positifs sur les bénéficiaires. On adjoint à ces programmes une démarche scientifique de collecte de données à travers une recherche opérationnelle qui tente de déceler les possibilités et conditions d'extension de ces programmes. Par exemple nous nous somme lancés en 2010 dans un vaste programme de transfert d'argent à travers les téléphones portables dans les villages pauvres d'une région du Niger. Les bénéficiaires sont  des femmes avec des enfants de moins de 5 ans et elles sont toutes analphabètes. Dans les années précédentes, il a été prouvé que même quand les productions agricoles sont bonnes, il y a des couches très fragiles de la population qui n'arrivent pas à nourrir leurs enfants. Parce qu'ils ne gagnent pas assez en vendant leur main d'œuvre, parce qu'ils ont beaucoup d'enfants et sont chroniquement pauvres, parce qu'ils n'ont pas les réseaux sociaux nécessaires pour faire face aux périodes de soudure. Pour cette petite frange de la société, il a été convenu au niveau national qu'un programme de protection sociale, de type RMI, est indispensable car ces personnes n'y arriveront jamais quel que soit le contexte macro-économique. Nous avons donc mis en œuvre dans un programme d'urgence un programme de transfert d'argent par les téléphones mobiles. Et une recherche est mise en place pour mesurer le déroulement et les conditions d'extension d'un tel programme à d'autres initiative. Je ne rentre pas dans les détails mais sachez que le Niger est deux fois plus grand que la France et compte environs onze millions d'habitants, soit environs le nombre d'habitant que compte l'agglomération parisienne. Donc si vous voulez atteindre des populations vulnérables, très isolées, à moindre cout, les nouvelles technologies peuvent considérablement apporter une différence. Donc on navigue entre les projets limités dans une région donnée, et on mesure les impacts pour conseiller les décideurs politiques de ce qui marche ; de ce qui ne marche pas et surtout combien les choses coutent.

Tout est un peu grisé avec la donne sécurité qui n'arrange personne. Je ne vais pas vous inviter en vacance par ici car les tour-operators ont cessé leur activité. Il y a des fous qui veulent ajouter une couche de plus à la grande misère déjà existante du Pays. Donc on fait ce qu'on peut avec les limites du contexte. Par contre le Bénin vous est ouvert, pas loin et foutrement riche en culture et couleur.

Marc SEKPON


23/08/2011
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