Un monde, des Idees - One World, Many Ideas

Le dictionnaire non-conventionnel de l'Humanitaire

Les maisons de fortune, les vies entassées, dévalorisées, âmes funambules qui avec le temps nous paraissent de moins en moins importants. Dans notre jargon on parle de bénéficiaires, de population cible ou populations locales. Depuis 3 ans j'ai vu énormément de regards, de visages ravagés mais étrangement fiers, de personnes qui absorbent mes paroles sans trop oser me contredire parce que je représente l'ONG bienfaitrice. Les mots dans l'action humanitaire mérite un dictionnaire spécifique, qu'on pourrait par exemple nommé « le dictionnaire universelle des désillusions humanitaires ». En voila trois que je propose de détailler ici : la participation, la capacity building et bénéficiaire. Ce sont des mots très rependus et très employés dans le milieu.

 Bénéficiaire : personne qui tire avantage de, personne recevant un gain, un profit, personne recevant l'aide d'une action. L'humanitaire existe parce qu'il y a des bénéficiaires. Le terme recouvre une connotation dans l'action humanitaire : il est connoté victimes. Contrairement comme dans le secteur financier ou le bénéficiaire est l'heureux stratège qui réussit a accumuler des profits. Donc initialement et de façons presque systématiques, le bénéficiaire représente une victime qui nécessite protection et assistance. Les deux mots assistance et protection ont toute leur importance car l'action se résume a ces deux aspect : assister dans l'urgence et protéger contre des menaces futures qui pourrait rendre encore victimes. Il y a une relation triangulaire effrayante entre les trois acteurs qui sont : les donateurs, les exécutants de l'aide et les bénéficiaires. Dans ce triangle certain essaie même de sortir les bénéficiaires du système en les remplaçants par les pourvoyeurs de la crise. On a arrive a un schéma monstrueux de ces acteurs triangulaires qui agissent sur les bénéficiaires. Cela suppose qu'il y a une relation entre les commanditaires de la violence et les acteurs humanitaires protecteurs des victimes bénéficiaires. Et nommer cette relation nous ramène à une réalité moins homérique qui nous échape. En effet on arrive à cette instrumentalisation terrifiante qui ferait que les vraies termes seraient proche du langage économique : zone d'intervention è territoire d'opportunité, zone prioritaire è part de marché, et enfin bénéficiaires è clients.

Mercredi 27 juin 2007. Je suis a l'aéroport Charles de Gaules, en attente pour le vol Paris Ndjamena. J'ai fais la rencontre de M.  X N. Il est dans la haute finance du gouvernement tchadien et on a eu un échange électrique. Je lisais mes rapports de mission et apparemment il remarqué le logo de l'ONG sur les documents :

-          Vous êtes un humanitaire, me demande t-il ?

-          En effet, je pars pour ACF pour gérer la base de Dogdoré.

-          C'est bien ça, nous somme très reconnaissant de votre support a la population tchadienne (dis son collègue qui voyage avec lui)

-          Je me méfie moi des humanitaires. Il donnent la charité par la main droite, mais ils font leur business par derrière

-          Vous vous trompez monsieurs, nous ne venons pas tous pour faire du business. Il y a les entrepreneurs pour ça.

-          Vous etes bien naïfs jeune homme. On connaît ceux qui portent les doubles casquettes. De nos fonctions nous avons accès à des informations de hautes importances. Nous laissons faire tant que ça ne fait pas du tord a notre nation ou des préjudices à notre économie. Mais sachez que c'est un business comme les autres. Nous avons les yeux ouverts. 

Je voulais l'incendier et lui repopndre que ça fait trois ans que je suis dans la brousse du Darfour et de l'est du Tchad pour colmater les dégâts que causent les guerres dont ils sont les commanditaires. Mais je voyais que cela ne servirait pas a grande chose et il semble sur de lui avec ses preuves. Oui les bénéficiaires sont pour certains des clients ou des moyens de pénétration dans certain marché. Comment est on passé du sens victime au sens d'instrument, d'outils ou de client ? 

Je me rappelle du visage de Saley à Al Fasher, cette bourgade par où a commencé la guerre du Darfour. Saley c'est un sage, une âme nomade qui a traversé toute l'Afrique australe et qui parle une dizaine de langues. Des gens comme ça en Europe sont pris pour des intellectuels mais ici il est bénéficiaire et doit se soumettre au logique du donneur. La main du receveur en dessous de celle du donneur. Cela est si vrai dans ce métier. Oui c'est vrai mais intelligemment caché sous des mots et des déguisements stratégiques.

 La participation. Vient du latin participatore, qui signifie prendre part. Elle est introduite dans les années 60 par des agences comme USAID et ensuite par les nations unies et rependu aujourd'hui dans les discours comme dans les stratégies d'interventions sur les zones en crises. Initialement ce sont des outils empruntés à la recherche dans les sciences sociales qui exigent que la compréhension des populations et de leur histoire peut se faire que s'ils participent à la définition des concepts et fournissent des clés de lecture. L'humanitaire l'a repris au départ pour faire des enquêtes rapides pour lancer des programmes et ensuite une tentative a été faite pour faire prendre part les communautés aux décisions de gestion de crise ou d'action de développment. Aujourd'hui la participation est rendue obligatoire par des outils comme le cadre logique et la logique des bailleurs de fond qui imposent des critères de participation communautaire. Mais « prendre part » a quoi dans cette machine humanitaire si pressée d'aider. Tout le monde est pressé d'aider et tout le monde veut faire participer tout le monde. Un exemple :

 Aujourd'hui 07-07-07. Je suis a Dogdoré, 300 km au sud est de Abéché, la deuxième ville du Tchad. Date étrange avec que des sept et des zéro mais les faits sont significatifs. Je suis le chef de base de ACF ici pour un mois, le temps que ACF trouve quelqu'un qui accepte une mission dans la brousse pour une longue durée. J'ai appelé les Sheiks (chefs de différents villages) pour une réunion de mise au point. Il avait été question dans notre projet de réhabilitation de point d'eau, que les communautés sont sensées apporter un apport en ressources humaines pour aider les techniciens payés par ACF. Cependant, sur les 12 points à réhabiliter, 6 ont été faits sans soucis et le reste posent problème du fait que les gens souhaitent se faire payer maintenant. ONG= argent et en plus ces blancs on peut négocier avec eux. Mais sauf que nous, l'argent on en a, mais dans notre projet on avait dit que les populations bénéficiaires seront impliquées. Donc on applique et on « fait chier » ces populations pour faire respecter ce principe. Dans notre jargon on parle de participation communautaire. Sauf que nous décidons a quoi ils vont participer, une manière de respecter les exigences de bailleurs de fond. Je suis la personne qui est censée répéter ça au villageois. Je suis assez convaincant dans ces moments et je leur raconte sans détour: « les fonds des ONG viennent de personnes pas forcement riches de partout en Europe, on ne saurait expliquer a ces donneurs que la communauté n'est même pas capable de fournir juste 2 ou trois personnes par jours alors que les donneurs ont pris sur leur maigres revenues. Votre participation montrerait aussi votre volonté d'aider votre communauté à sortir de cette situation et mobiliserait d'autres acteurs humanitaires a venir vous  aider ». L'échange fut bref mais convaincante, suivie de sourire et d'acceptation du principe. Voila, je viens de leur faire accepter qu'il s'engage a participer a mon projet car c'est dans leur intérêt et c'est bien pour eux. Un cas classique de cette nébuleuse dénommée participation.

 Capacity building : renforcement des capacités : Je vois les choses avec du recule et au travers des dernières expériences, des réponses sont venues de façons fracassantes. Il y a une frénésie intellectuelle qui bouffe le monde humanitaire. On se complait dans nos propres contradictions car les questions sont vraiment épineuses entre l'aide proprement dite et toutes ses travers politiques et idéologiques. En fait on se retrouve en face de jeunes hommes/femmes idéalistes ou opportunistes pris dans des systèmes politiques qu'ils comprennent peu ou qu'il font semblant de maîtriser par des débats dithyrambique et généralement infondés. Les mots ont énormément d'importance et nous les manipulons a outrance pour nous rassurer. Comme capacity building. Parmi tous les mots du jargon humanitaire celui la me fait particulièrement mal car la beauté du concept ne traduit pas la médiocrité des pratiques. Quelle capacité peut construire une jeune fille de 25 ans dans un pays qu'elle ne connais pas et avec une expérience de vie limitée au contexte européen où a quelques voyages exotiques ? Il y a une volonté non manifeste de dissimuler la médiocrité sous un vocabulaire professionnel et humaniste. Depuis 50 ans on fait du renforcement des capacités, et peut-être qu'il nous faut encore 200 ans pour y arriver. Un exemple :

Mon collègue a envoyé 3 fois son employé local demander le prix de l'essence sur le village de Dogdoré. Sauf qu'il n'a pas été précis dans la consigne, l'employé se plante à chaque fois. Chaque fois que l'employé revient il lui passe le savon en lui posant des question très humiliantes de type sais tu combien de litre il y a dans 20L, as-tu compté le nombre de litres disponible chez le revendeurs, tu es sur de ce que tu dis car je risque d'aller vérifier ? Quand je luis pose la question sur tout ce va-et-vient inutile, il me dit que c'est pour renforcer sa capacité de purshaser (Acheteur). Comment peut-on renforcer la capacité des gens en les dévalorisant ou en montrant qu'ils sont inférieurs a nous. Ça m'agace et forcement je finis par lui dire : « mais va chercher toi-même ce prix, montre lui par l'exemple si tu sais si bien le faire. » L'ego en prend un coup et forcement ça se chamaille et ça tire la gueule.

C'est cette tutelle idéologique qu'il faut dénoncer car la capacity building dans la pratique pose comme postulat l'inadaptabilité des connaissances locales ou la médiocrité des acquis traditionnelle. Pressé d'aider, pressé de transférer ses connaissances ? On comprend par nos propres contradictions l'attentisme des populations et le fait que nous ne représentons que des hawadja (étrangers) incompréhensibles qui distribuent de l'argent. Ça nous colle à la peau et des bénéficiaires n'hésitent pas à barrer des routes ou nous prendre en otage et exiger de l'argent pour nous laisser partir.

Des mots. Derrière les mots on peut tout mettre. Et tant que les pratiques seront aussi médiocres et que des mots seront utilisés pour les cacher, le témoignage sera une arme de correction et de changement. Continuons ce dictionnaire illustré.

Marco S.



06/10/2009
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